Marc’O de son vrai nom Marc-Gilbert Guillaumin est décédé le
11 juin 2025. Il avait atteint l’âge respectable de 98 ans. Il s’en est allé
discrètement, il n’était pas trop du genre à se mettre en avant. Quelques
semaines avant, il avait publié grâce à Serge Berréby deux ouvrages, l’un était
une longue interview de Marc O’ qui récapitulait son parcours dans les milieux
de l’avant-garde post-surréaliste, et l’autre, Délire de fuite, qui
racontait l’épopée glorieuse de Saint-Germain-des-Prés dans l’immédiat après-guerre,
juste avant que cet endroit ne devienne quelque chose de folklorique à la
destination des touristes étrangers. Ces deux documents sont intéressants
d’abord parce qu’ils présentent Marc O’ comme un dissident de la chose
artistique qui ne s’est jamais renié. Bien entendu il a évolué. Dans les débuts
de son arrivée à Paris, il va se tourner vers les lettristes qui se veulent
plus radicaux que leurs ainés surréalistes et dadaïstes. Ils ont beau se
trouver dans la continuité d’André Breton et de ses amis, ils le vouent aux
gémonies. C’est à cette occasion qu’il fera un bout de chemin avec Guy Debord
qu’il accompagnera quand celui-ci écrira puis tentera de mettre en forme son
premier film, Hurlements en faveur de Sade. Marc’O sera très actif dans
le cinéma d’avant-garde. C’est lui qui produira le film d’Isou, Traité de
bave et d’éternité, en 1951. Film qui sera présenté à Cannes la même année,
à cette occasion il rencontrera Guy Debord qui habitait la ville et qui
cherchait à s’en émanciper. Il éditera aussi le journal Le soulèvement de la
jeunesse, journal destiné à faire connaitre les thèses d’Isou.
Le thème de la jeunesse était un thème à la mode à la
Libération. C’est Isou bien sûr qui l’avait popularisé, mais Debord en avait
repris un certain nombre de principes, mettant l’accent sur le nombre de
suicides qui démontrait selon lui que la société était mauvaise et qu’elle
contraignait la jeunesse à réprimer ses passions comme sa créativité. Dans les
pièces de théâtre où Marc O’ tente d’allier la musique de rock et le malaise de
la jeunesse, ont retrouvera cette thématique qui le poursuivra presque toute sa
vie. En même temps c’est bien d’une vision du chaos comme moteur et espérance
dont il s’agit.
Marc O’ aux côtés d’Isidore
Isou sur le tournage du Traité de bave et d’éternité, en 1951
Dans la foulée de ses rencontres lettristes, il produira une
revue, Ion, dans laquelle il publie un certain nombre de textes plus ou
moins théoriques sur le cinéma lettriste, Isidore Isou, G. j Wolman, Guy
Debord, Maurice Lemaître et lui-même bien entendu. Cette revue financée par
Robert Mitterrand, le frère ainé de François Mitterrand et le père de Frédéric
Mitterrand qui un temps développera un réseau de salles de cinéma de
répertoire. Cette revue qui trace les contours d’un cinéma d’avant-garde sans
concession n’aura qu’un numéro. D’une manière ou d’une autre ces signatures resteront
fidèles à l’idée d’une avant-garde sans concession. Même si Guy Debord en
fondant l’Internationale situationniste, se rapprochera plutôt d’une forme
politique, les autres resteront dans la nécessité de s’attaquer à ce qu’ils
pensent être la racine du mal, la culture. Mais quelle culture ? L’idée
est de s’orienter vers quelque chose de moderne, c’est-à-dire d’adapté à la
société d’aujourd’hui. Le deuxième axe est de chercher une relation directe
entre l’art et la vie. Ce qui mènera Marc’O à s’orienter vers le théâtre dans
sa forme de création collective. Le théâtre devient un lieu de vie collective
en opposition avec la société mercantile dans laquelle tout est séparé. Ce qui
est important pour Marc’O est de libérer l’acteur et de l’orienter vers la
prise de risque, vers la création plus ou moins improvisée. Son travail va
s’inscrire dans ces tendances vers la fin des années soixante au happening qui
pouvait d’ailleurs virer au-delà des velléités libertaires vers la secte comme
chez Julian Beck par exemple.
De gauche à droite, Marc’O,
Guy Debord, Jean Cocteau et un inconnu en 1951
Les acteurs qui ont travaillé avec lui reconnaissent d’abord un talent de directeur d’acteur. Il révélera Bulle Ogier, Pierre Clémenti, Jean-Pierre Kalfon et même Marpessa Dawn. Même si son audience est restée toujours très limitée, Marc’O obtiendra quelque succès, notamment avec sa pièce Les idoles, une pièce écrite par Marc’O lui-même sur le phénomène de cette pop musique envahissante qui donnera des formes d’hystérie partagées avec les spectateurs. Cette pièce deviendra ensuite un film. Tout cela avec des faibles moyens. Même si par la suite les acteurs qu’on a cités seront attirés par des formes plus traditionnelles du théâtre et du cinéma et évidemment mieux rémunérées.
Marc’O
dirigeant Bulle Ogier dans Les idoles
Marc’O continuera ses expériences, se dépensant entre la
France et l’Italie, il interviendra en Mai 68 et dans l’immédiate suite dans
des usines à Milan, toujours sans trop se soucier des conditions matérielles de
sa survie, mais sans jamais s’engager politiquement dans un parti d’avant-garde
ou non. Navigant dans ces eaux où la misère matérielle fréquente la haute
bourgeoisie qui a de l’argent et qui peut subventionner des entreprises « culturelles »,
il finit par obtenir une reconnaissance dans les milieux avant-gardistes. Quelques
années avant sa mort, on a réédité ses films et ses vidéos qui innovaient aussi
tout de même sur le plan visuel, que ce soit Closed vision, réalisé en
1954, ou encore Poïética, réalisé par Cristina Bertelli où il accorde
une importance décisive au traitement des images – héritage de son passé
lettriste – et bien entendu au montage. Mais dans tous les cas il ne chercha
jamais à se servir de sa notoriété pour élargir son public et surtout pour
gagner encore plus d’argent, pour avoir encore plus de moyens.
Son parcours est peut-être plus intéressant au fond que ses
innovations dans le domaine de la culture. Il a été résistant très jeune, il
sera même décoré à ce titre. La guerre terminée, il vint de son Auvergne natale
à Paris où il survécut assez difficilement, puis se mêlant à la faune de
Saint-Germain-des Près il rencontra les milieux avant-gardistes. Il se maria
avec Poucette, artiste peintre de son état avec qui il avait eu une fille,
Poucette qui rapidement gagna beaucoup d’argent et en dépensant tout autant !
Délire de fuite, un texte oublié et exhumé par Gérard Berréby, donne une
description précise de ce que fut cette vie de bâton de chaise, navigant entre
le Tabou et les milieux lettristes, cherchant toujours un peu d’argent
pour tenter de survivre, ou une fille pour rompre sa solitude. Cette misère
était en réalité la contrepartie de cette volonté de ne pas se compromettre
avec la société mercantile qui stérilisait toutes les meilleures volontés.
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