samedi 21 juin 2025

Gérard Berréby & Mar’O, L’art d’en sortir et Délire de fuite, Allia, 2025

 

Marc’O de son vrai nom Marc-Gilbert Guillaumin est décédé le 11 juin 2025. Il avait atteint l’âge respectable de 98 ans. Il s’en est allé discrètement, il n’était pas trop du genre à se mettre en avant. Quelques semaines avant, il avait publié grâce à Serge Berréby deux ouvrages, l’un était une longue interview de Marc O’ qui récapitulait son parcours dans les milieux de l’avant-garde post-surréaliste, et l’autre, Délire de fuite, qui racontait l’épopée glorieuse de Saint-Germain-des-Prés dans l’immédiat après-guerre, juste avant que cet endroit ne devienne quelque chose de folklorique à la destination des touristes étrangers. Ces deux documents sont intéressants d’abord parce qu’ils présentent Marc O’ comme un dissident de la chose artistique qui ne s’est jamais renié. Bien entendu il a évolué. Dans les débuts de son arrivée à Paris, il va se tourner vers les lettristes qui se veulent plus radicaux que leurs ainés surréalistes et dadaïstes. Ils ont beau se trouver dans la continuité d’André Breton et de ses amis, ils le vouent aux gémonies. C’est à cette occasion qu’il fera un bout de chemin avec Guy Debord qu’il accompagnera quand celui-ci écrira puis tentera de mettre en forme son premier film, Hurlements en faveur de Sade. Marc’O sera très actif dans le cinéma d’avant-garde. C’est lui qui produira le film d’Isou, Traité de bave et d’éternité, en 1951. Film qui sera présenté à Cannes la même année, à cette occasion il rencontrera Guy Debord qui habitait la ville et qui cherchait à s’en émanciper. Il éditera aussi le journal Le soulèvement de la jeunesse, journal destiné à faire connaitre les thèses d’Isou.

Le thème de la jeunesse était un thème à la mode à la Libération. C’est Isou bien sûr qui l’avait popularisé, mais Debord en avait repris un certain nombre de principes, mettant l’accent sur le nombre de suicides qui démontrait selon lui que la société était mauvaise et qu’elle contraignait la jeunesse à réprimer ses passions comme sa créativité. Dans les pièces de théâtre où Marc O’ tente d’allier la musique de rock et le malaise de la jeunesse, ont retrouvera cette thématique qui le poursuivra presque toute sa vie. En même temps c’est bien d’une vision du chaos comme moteur et espérance dont il s’agit.


Marc O’ aux côtés d’Isidore Isou sur le tournage du Traité de bave et d’éternité, en 1951

 

Dans la foulée de ses rencontres lettristes, il produira une revue, Ion, dans laquelle il publie un certain nombre de textes plus ou moins théoriques sur le cinéma lettriste, Isidore Isou, G. j Wolman, Guy Debord, Maurice Lemaître et lui-même bien entendu. Cette revue financée par Robert Mitterrand, le frère ainé de François Mitterrand et le père de Frédéric Mitterrand qui un temps développera un réseau de salles de cinéma de répertoire. Cette revue qui trace les contours d’un cinéma d’avant-garde sans concession n’aura qu’un numéro. D’une manière ou d’une autre ces signatures resteront fidèles à l’idée d’une avant-garde sans concession. Même si Guy Debord en fondant l’Internationale situationniste, se rapprochera plutôt d’une forme politique, les autres resteront dans la nécessité de s’attaquer à ce qu’ils pensent être la racine du mal, la culture. Mais quelle culture ? L’idée est de s’orienter vers quelque chose de moderne, c’est-à-dire d’adapté à la société d’aujourd’hui. Le deuxième axe est de chercher une relation directe entre l’art et la vie. Ce qui mènera Marc’O à s’orienter vers le théâtre dans sa forme de création collective. Le théâtre devient un lieu de vie collective en opposition avec la société mercantile dans laquelle tout est séparé. Ce qui est important pour Marc’O est de libérer l’acteur et de l’orienter vers la prise de risque, vers la création plus ou moins improvisée. Son travail va s’inscrire dans ces tendances vers la fin des années soixante au happening qui pouvait d’ailleurs virer au-delà des velléités libertaires vers la secte comme chez Julian Beck par exemple.  

De gauche à droite, Marc’O, Guy Debord, Jean Cocteau et un inconnu en 1951 

Les acteurs qui ont travaillé avec lui reconnaissent d’abord un talent de directeur d’acteur. Il révélera Bulle Ogier, Pierre Clémenti, Jean-Pierre Kalfon et même Marpessa Dawn. Même si son audience est restée toujours très limitée, Marc’O obtiendra quelque succès, notamment avec sa pièce Les idoles, une pièce écrite par Marc’O lui-même sur le phénomène de cette pop musique envahissante qui donnera des formes d’hystérie partagées avec les spectateurs. Cette pièce deviendra ensuite un film. Tout cela avec des faibles moyens. Même si par la suite les acteurs qu’on a cités seront attirés par des formes plus traditionnelles du théâtre et du cinéma et évidemment mieux rémunérées. 

Marc’O dirigeant Bulle Ogier dans Les idoles 

Marc’O continuera ses expériences, se dépensant entre la France et l’Italie, il interviendra en Mai 68 et dans l’immédiate suite dans des usines à Milan, toujours sans trop se soucier des conditions matérielles de sa survie, mais sans jamais s’engager politiquement dans un parti d’avant-garde ou non. Navigant dans ces eaux où la misère matérielle fréquente la haute bourgeoisie qui a de l’argent et qui peut subventionner des entreprises « culturelles », il finit par obtenir une reconnaissance dans les milieux avant-gardistes. Quelques années avant sa mort, on a réédité ses films et ses vidéos qui innovaient aussi tout de même sur le plan visuel, que ce soit Closed vision, réalisé en 1954, ou encore Poïética, réalisé par Cristina Bertelli où il accorde une importance décisive au traitement des images – héritage de son passé lettriste – et bien entendu au montage. Mais dans tous les cas il ne chercha jamais à se servir de sa notoriété pour élargir son public et surtout pour gagner encore plus d’argent, pour avoir encore plus de moyens.

Son parcours est peut-être plus intéressant au fond que ses innovations dans le domaine de la culture. Il a été résistant très jeune, il sera même décoré à ce titre. La guerre terminée, il vint de son Auvergne natale à Paris où il survécut assez difficilement, puis se mêlant à la faune de Saint-Germain-des Près il rencontra les milieux avant-gardistes. Il se maria avec Poucette, artiste peintre de son état avec qui il avait eu une fille, Poucette qui rapidement gagna beaucoup d’argent et en dépensant tout autant ! Délire de fuite, un texte oublié et exhumé par Gérard Berréby, donne une description précise de ce que fut cette vie de bâton de chaise, navigant entre le Tabou et les milieux lettristes, cherchant toujours un peu d’argent pour tenter de survivre, ou une fille pour rompre sa solitude. Cette misère était en réalité la contrepartie de cette volonté de ne pas se compromettre avec la société mercantile qui stérilisait toutes les meilleures volontés.  

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