La semaine dernière on a commencé à voir des images
spectaculaires d’une sorte de guerre civile à Los Angeles. Cette ville qui est
aussi la capitale de l’industrie du cinéma est fréquemment le lieu de
manifestations violentes qui dégénèrent en une sorte de guerre civile. Les plus
anciens se souviennent des émeutes de Watts en 1965. C’était des émeutes
raciales, c’est-à-dire une sorte de révolte contre les mauvais traitements des
afro-américains que Guy Debord avait tenté d’analyser comme ayant une révolte
contre la forme économique de la vie américaine[1]. Cela
s’était soldé par une trentaine de morts et un millier de blessés, avec des
manifestations violentes un peu partout dans les grandes villes étatsuniennes. En
1992, l’arrestation violente de Rodney King par la police de Los Angeles fut le
prétexte de nouvelles manifestations violentes avec à la clé 55 morts et 2 000
blessés dans des affrontements qui durèrent une semaine et qui se répandirent
un peu partout dans les grandes villes. Là encore la question raciale – la situation
des afro-américains – fut avancée comme explication au déclenchement de ces
violences. Aujourd’hui le prétexte du déclenchement de ces violences est la
politique de Donald Trump envers les immigrants illégaux, et la police de l’immigration,
ICE – Immigration and Customs Enforcement – est accusée de sauvagerie dans les
expulsions massives.
Il y aurait entre 11 et 12 millions d’immigrés illégaux aux
Etats-Unis. Ces immigrants sont considérés différemment selon les positions
politiques des uns et des autres. Disons pour aller vite que les Démocrates les
considèrent à la fois comme devant être légalisés parce qu’ils aident au développement
économique des Etats-Unis, tandis que les Républicains les pensent comme un
facteur de désordre, notamment à cause des gangs latinos qui pullulent dans la
région de Los Angeles. Ils sont vu comme ceux qui introduisent la drogue depuis
le Mexique. Tout cela relève un peu de la posture, et si on regarde de près les
chiffres des expulsions des immigrés clandestins, on se rend compte que c’est
pour l’instant l’administration de Joe Biden qui a expulsé le plus de
clandestins. Certains on d’ailleurs évoqué que cela fut une des raisons de l’échec
de Kamala Harris aux dernières élections présidentielles face à Trump. Trump,
lors de son premier mandat, avait également prétendu à construire un mur
étanche entre le Mexique et les Etats-Unis pour enrayer ce mouvement. Ce fut un
échec au moins sur le plan statistique. Non seulement les flux migratoires n’ont
pas été enrayés, mais le mur ne fut jamais fini d’être construit et il dut être
abandonné. Trump du reste n’en a plus reparlé, renvoyant l’idée aux poubelles
de l’histoire. Cependant l’idée d’un contrôle plus strict de l’immigration n’a
pas été abandonnée pour autant. Mais cette fois on a pris la question par l’autre
bout, au lieu d’empêcher les migrants d’entrer, on va les obliger à ressortir !
Ce qui semble avoir mis le feu aux poudres est que la Cours
suprême a autorisé à la fin du mois de mai dernier la révocation du statut
légal de plus de 500 000 immigrés[2]. Comme
c’est dans son habitude Trump a mis en scène des expulsions brutales pour
montrer sa fermeté sur ce sujet. Ceux qui sont opposés à ces expulsions
avancent plusieurs arguments, le premier est que les expulsés qui bénéficient d’un
statut de résident temporaire sont généralement des immigrés qui travaillent et
qui ne sont pas sans ressources, et donc que cela profite au développement économique.
Ensuite il y a bien sûr l’argument humanitaire, des familles déchirées par
exemple, ou encore des réfugiés Vénézuéliens, Cubains, Nicaraguayens et
Haïtiens qui seraient en danger dans leur propre pays. Plus généralement ceux
qui défendent les migrants avancent que les Etats-Unis ont toujours existé
comme une terre de migrations. Ce qui est vrai aussi puisque les autochtones,
les Amérindiens, ont été pratiquement génocidés.
Si nous nous référons à la période récente, disons depuis
1980, on constate une rapide montée des mouvements migratoires au niveau
mondial, comme le montre les graphiques ci-dessus. Mais ce mouvement n’est pas
homogène : les pays pauvres sont les pays émetteurs de flux migratoires et
les pays riches les pays récepteurs. Les Etats-Unis sont le pays qui a attiré
le plus de migrants, principalement des pays d’Amérique latine, mais aussi du
reste du monde. Ce mouvement migratoire est mondial, et il s’est accéléré avec ce
qu’on appelle la mondialisation ou la globalisation. Il est donc assez clair
que le mouvement de rejet des populations immigrées soit généralisé dans le monde
entier, que ce soit en Europe ou aux Etats-Unis. Les populations plus ou moins
autochtones sont exaspérées par l’immigration. Si ce mouvement est puissant aux
Etats-Unis, il existe aussi vis-à-vis des Ukrainiens en Pologne, vis-à-vis des
Afghans au Danemark ou des réfugiés syriens en Suède. Sans parler du Royaume-Uni
où les tensions sont fortes vis-à-vis de la population musulmane, ou encore en France
avec la montée régulière du Rassemblement national.
Parmi les bienfaits que certains veulent voir dans ces
mouvements désordonnés, il y aurait le fait que les pays émetteurs y trouvent
une source de recettes en devises qui leur permettra d’accélérer leur
développement en exportant leur main d’œuvre excédentaire. Également on
souligne que l’immigration est essentielle pour les pays riches qui ont une
population vieillissante, autrement dit la population immigrée sert aussi bien
à payer les retraites qu’à servir d’aide au grand âge. De l’autre côté on
souligne les déséquilibres engendrés d’abord parce que les migrants sont la
partie la plus dynamique des pays pauvres et donc cette population manquera pour
le développement de ces mêmes pays. D’ailleurs plusieurs pays pauvres ont
souvent souligné le fait que leurs efforts d’investissement dans l’éducation
profitaient finalement aux pays riches. Également on a souligné le choc des
cultures et le fait que les populations étrangères modifient finalement le
contenu civilisationnel du pays d’accueil. Les populations musulmanes sont
particulièrement visées. Sans parler évidemment de la criminalité et des
attentats périodiques qui secouent les sociétés occidentales, voir le
traumatisme de l’attaque sur le World Trade Center en septembre 2001, ou encore
l’attaque du Bataclan à Paris en novembre 2015. Ces deux visions sont incompatibles.
Le mouvement est plutôt en faveur cependant d’une politique restrictive pour l’immigration
dans tous les pays développés, il accompagne une critique de la globalisation
et donc le retour à l’idée de souveraineté nationale.
Trump l’a bien compris. En difficulté sur le plan de sa
politique générale, il se ressource avec ce sujet. Globalement sa politique de
restriction de l’immigration est approuvée comme sa politique de restriction
des importations. Les émeutes de Los Angeles qui au moment ou j’écris n’ont pas
encore atteint ceux qui a pu se passer en 1965 ou en 1992, conforte Trump dans
sa volonté d’envoyer la garde mobile réprimer les manifestations. Il a accusé d’ailleurs
que les manifestants étaient payés ! On se demande bien par qui, même si
on peut voir que certains mouvements activistes sont aussi à la manœuvre. Mais
le mouvement de révolte porté essentiellement par les Latinos n’est pas très
populaire, et le fait qu’on ait pu voir le drapeau mexicain comme étendard de
la révolte ne plaide pas en sa faveur. Trump en a profité pour s’en prendre
évidemment au gouverneur de Californie Gavin Newsom qui a contesté l’intervention
de la Garde nationale à Los Angeles. Il prétend porter le quota des expulsions
à 5 000 unités par jour. Ce qui veut dire qu’il réaliserait le programme d’expulsion
en un peu plus de trois mois. Évidemment cette volonté pose de nombreuses
questions. En effet ceux qui sont visés ne sont pas prioritairement des
clandestins, mais ceux qui bénéficiaient jusqu’ici d’un permis temporaire de deux
ans. La question des gangs et des clandestins restant entière. Or on sait que
depuis des décennies se sont les clandestins qui dans l’agriculture industrielle
californienne assurent les récoltes parce que cette main d’œuvre fragile est
peu exigeante sur la question des salaires.
Malgré ces difficultés, il semble qu’en matière d’immigration
ce soit encore les Etats-Unis qui donnent le la, comme jadis sous l’impulsion
de Reagan ils avaient donné le coup d’envoi d’une mondialisation accélérée. En Europe,
il est assez clair que le mouvement souverainiste s’appuie aussi sur l’idée de
mettre en place une politique migratoire restrictive. Tous les pays sont touchés,
le score du candidat nationaliste en Pologne en témoigne[3],
mais aussi c’est le cas en France où seule la diabolisation permanente du
Rassemblement national empêche celui-ci d’accéder au pouvoir. Dans l’Union européenne et en France particulièrement
on a mis longtemps en avant le fait que les frontières étaient fatalement
perméables et que c’était une illusion de croire qu’on pouvait stopper le
mouvement migratoire. La Cour de Cassation appuyée sur un avis du Conseil
constitutionnel a appuyé ce mouvement en relaxant Cédric Herrou dont la
spécialité était de faire passer des migrants d’Italie en France, ce qui
équivalait à dire qu’il n’y avait plus de frontières entre les États, les
barrières commerciales tarifaires et non-tarifaires ayant disparu pour les pays
adhérents à l’OMC. Mais la politique de Trump montre que la politique tarifaire
comme la politique migratoire n’est pas une fatalité, mais dépend de l’idée qu’on
se fait de la souveraineté d’un pays. Il est assez clair que cela va donner
probablement des idées aux partis souverainistes en Europe.
[1] Le
déclin et la chute de l’économie spectaculaire-marchande, in, Internationale
situationniste, numéro 10, mars 1966.
[2] https://www.lemonde.fr/international/article/2025/05/31/aux-etats-unis-la-cour-supreme-autorise-la-revocation-du-statut-legal-de-plus-de-500-000-immigres_6609394_3210.html
[3] https://fr.euronews.com/my-europe/2025/06/01/election-presidentielle-2025-selon-les-resultats-preliminaires-trzaskowski-arrive-en-tete-
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire