lundi 9 juin 2025

Immigration, souveraineté et guerre civile

La semaine dernière on a commencé à voir des images spectaculaires d’une sorte de guerre civile à Los Angeles. Cette ville qui est aussi la capitale de l’industrie du cinéma est fréquemment le lieu de manifestations violentes qui dégénèrent en une sorte de guerre civile. Les plus anciens se souviennent des émeutes de Watts en 1965. C’était des émeutes raciales, c’est-à-dire une sorte de révolte contre les mauvais traitements des afro-américains que Guy Debord avait tenté d’analyser comme ayant une révolte contre la forme économique de la vie américaine[1]. Cela s’était soldé par une trentaine de morts et un millier de blessés, avec des manifestations violentes un peu partout dans les grandes villes étatsuniennes. En 1992, l’arrestation violente de Rodney King par la police de Los Angeles fut le prétexte de nouvelles manifestations violentes avec à la clé 55 morts et 2 000 blessés dans des affrontements qui durèrent une semaine et qui se répandirent un peu partout dans les grandes villes. Là encore la question raciale – la situation des afro-américains – fut avancée comme explication au déclenchement de ces violences. Aujourd’hui le prétexte du déclenchement de ces violences est la politique de Donald Trump envers les immigrants illégaux, et la police de l’immigration, ICE – Immigration and Customs Enforcement – est accusée de sauvagerie dans les expulsions massives.

Il y aurait entre 11 et 12 millions d’immigrés illégaux aux Etats-Unis. Ces immigrants sont considérés différemment selon les positions politiques des uns et des autres. Disons pour aller vite que les Démocrates les considèrent à la fois comme devant être légalisés parce qu’ils aident au développement économique des Etats-Unis, tandis que les Républicains les pensent comme un facteur de désordre, notamment à cause des gangs latinos qui pullulent dans la région de Los Angeles. Ils sont vu comme ceux qui introduisent la drogue depuis le Mexique. Tout cela relève un peu de la posture, et si on regarde de près les chiffres des expulsions des immigrés clandestins, on se rend compte que c’est pour l’instant l’administration de Joe Biden qui a expulsé le plus de clandestins. Certains on d’ailleurs évoqué que cela fut une des raisons de l’échec de Kamala Harris aux dernières élections présidentielles face à Trump. Trump, lors de son premier mandat, avait également prétendu à construire un mur étanche entre le Mexique et les Etats-Unis pour enrayer ce mouvement. Ce fut un échec au moins sur le plan statistique. Non seulement les flux migratoires n’ont pas été enrayés, mais le mur ne fut jamais fini d’être construit et il dut être abandonné. Trump du reste n’en a plus reparlé, renvoyant l’idée aux poubelles de l’histoire. Cependant l’idée d’un contrôle plus strict de l’immigration n’a pas été abandonnée pour autant. Mais cette fois on a pris la question par l’autre bout, au lieu d’empêcher les migrants d’entrer, on va les obliger à ressortir !

Ce qui semble avoir mis le feu aux poudres est que la Cours suprême a autorisé à la fin du mois de mai dernier la révocation du statut légal de plus de 500 000 immigrés[2]. Comme c’est dans son habitude Trump a mis en scène des expulsions brutales pour montrer sa fermeté sur ce sujet. Ceux qui sont opposés à ces expulsions avancent plusieurs arguments, le premier est que les expulsés qui bénéficient d’un statut de résident temporaire sont généralement des immigrés qui travaillent et qui ne sont pas sans ressources, et donc que cela profite au développement économique. Ensuite il y a bien sûr l’argument humanitaire, des familles déchirées par exemple, ou encore des réfugiés Vénézuéliens, Cubains, Nicaraguayens et Haïtiens qui seraient en danger dans leur propre pays. Plus généralement ceux qui défendent les migrants avancent que les Etats-Unis ont toujours existé comme une terre de migrations. Ce qui est vrai aussi puisque les autochtones, les Amérindiens, ont été pratiquement génocidés.

Si nous nous référons à la période récente, disons depuis 1980, on constate une rapide montée des mouvements migratoires au niveau mondial, comme le montre les graphiques ci-dessus. Mais ce mouvement n’est pas homogène : les pays pauvres sont les pays émetteurs de flux migratoires et les pays riches les pays récepteurs. Les Etats-Unis sont le pays qui a attiré le plus de migrants, principalement des pays d’Amérique latine, mais aussi du reste du monde. Ce mouvement migratoire est mondial, et il s’est accéléré avec ce qu’on appelle la mondialisation ou la globalisation. Il est donc assez clair que le mouvement de rejet des populations immigrées soit généralisé dans le monde entier, que ce soit en Europe ou aux Etats-Unis. Les populations plus ou moins autochtones sont exaspérées par l’immigration. Si ce mouvement est puissant aux Etats-Unis, il existe aussi vis-à-vis des Ukrainiens en Pologne, vis-à-vis des Afghans au Danemark ou des réfugiés syriens en Suède. Sans parler du Royaume-Uni où les tensions sont fortes vis-à-vis de la population musulmane, ou encore en France avec la montée régulière du Rassemblement national.   

Parmi les bienfaits que certains veulent voir dans ces mouvements désordonnés, il y aurait le fait que les pays émetteurs y trouvent une source de recettes en devises qui leur permettra d’accélérer leur développement en exportant leur main d’œuvre excédentaire. Également on souligne que l’immigration est essentielle pour les pays riches qui ont une population vieillissante, autrement dit la population immigrée sert aussi bien à payer les retraites qu’à servir d’aide au grand âge. De l’autre côté on souligne les déséquilibres engendrés d’abord parce que les migrants sont la partie la plus dynamique des pays pauvres et donc cette population manquera pour le développement de ces mêmes pays. D’ailleurs plusieurs pays pauvres ont souvent souligné le fait que leurs efforts d’investissement dans l’éducation profitaient finalement aux pays riches. Également on a souligné le choc des cultures et le fait que les populations étrangères modifient finalement le contenu civilisationnel du pays d’accueil. Les populations musulmanes sont particulièrement visées. Sans parler évidemment de la criminalité et des attentats périodiques qui secouent les sociétés occidentales, voir le traumatisme de l’attaque sur le World Trade Center en septembre 2001, ou encore l’attaque du Bataclan à Paris en novembre 2015. Ces deux visions sont incompatibles. Le mouvement est plutôt en faveur cependant d’une politique restrictive pour l’immigration dans tous les pays développés, il accompagne une critique de la globalisation et donc le retour à l’idée de souveraineté nationale.

Trump l’a bien compris. En difficulté sur le plan de sa politique générale, il se ressource avec ce sujet. Globalement sa politique de restriction de l’immigration est approuvée comme sa politique de restriction des importations. Les émeutes de Los Angeles qui au moment ou j’écris n’ont pas encore atteint ceux qui a pu se passer en 1965 ou en 1992, conforte Trump dans sa volonté d’envoyer la garde mobile réprimer les manifestations. Il a accusé d’ailleurs que les manifestants étaient payés ! On se demande bien par qui, même si on peut voir que certains mouvements activistes sont aussi à la manœuvre. Mais le mouvement de révolte porté essentiellement par les Latinos n’est pas très populaire, et le fait qu’on ait pu voir le drapeau mexicain comme étendard de la révolte ne plaide pas en sa faveur. Trump en a profité pour s’en prendre évidemment au gouverneur de Californie Gavin Newsom qui a contesté l’intervention de la Garde nationale à Los Angeles. Il prétend porter le quota des expulsions à 5 000 unités par jour. Ce qui veut dire qu’il réaliserait le programme d’expulsion en un peu plus de trois mois. Évidemment cette volonté pose de nombreuses questions. En effet ceux qui sont visés ne sont pas prioritairement des clandestins, mais ceux qui bénéficiaient jusqu’ici d’un permis temporaire de deux ans. La question des gangs et des clandestins restant entière. Or on sait que depuis des décennies se sont les clandestins qui dans l’agriculture industrielle californienne assurent les récoltes parce que cette main d’œuvre fragile est peu exigeante sur la question des salaires.

Malgré ces difficultés, il semble qu’en matière d’immigration ce soit encore les Etats-Unis qui donnent le la, comme jadis sous l’impulsion de Reagan ils avaient donné le coup d’envoi d’une mondialisation accélérée. En Europe, il est assez clair que le mouvement souverainiste s’appuie aussi sur l’idée de mettre en place une politique migratoire restrictive. Tous les pays sont touchés, le score du candidat nationaliste en Pologne en témoigne[3], mais aussi c’est le cas en France où seule la diabolisation permanente du Rassemblement national empêche celui-ci d’accéder au pouvoir.  Dans l’Union européenne et en France particulièrement on a mis longtemps en avant le fait que les frontières étaient fatalement perméables et que c’était une illusion de croire qu’on pouvait stopper le mouvement migratoire. La Cour de Cassation appuyée sur un avis du Conseil constitutionnel a appuyé ce mouvement en relaxant Cédric Herrou dont la spécialité était de faire passer des migrants d’Italie en France, ce qui équivalait à dire qu’il n’y avait plus de frontières entre les États, les barrières commerciales tarifaires et non-tarifaires ayant disparu pour les pays adhérents à l’OMC. Mais la politique de Trump montre que la politique tarifaire comme la politique migratoire n’est pas une fatalité, mais dépend de l’idée qu’on se fait de la souveraineté d’un pays. Il est assez clair que cela va donner probablement des idées aux partis souverainistes en Europe.    

Les images de guerre civile qu’on a pu voir ces jours derniers à propos de la situation à Los Angeles sont un peu trompeuses. Il ne semble pas que ces émeutes soient d’ampleur comparable à celles qui avaient mis les Etats-Unis à feu et à sang par le passé. Le camp anti-immigration semble devoir gagner la partie. Cependant cela confirme une tendance à la guerre civile larvée qui existe bel et bien depuis le premier mandat de Donald Trump.


[1] Le déclin et la chute de l’économie spectaculaire-marchande, in, Internationale situationniste, numéro 10, mars 1966.

[2] https://www.lemonde.fr/international/article/2025/05/31/aux-etats-unis-la-cour-supreme-autorise-la-revocation-du-statut-legal-de-plus-de-500-000-immigres_6609394_3210.html 

[3] https://fr.euronews.com/my-europe/2025/06/01/election-presidentielle-2025-selon-les-resultats-preliminaires-trzaskowski-arrive-en-tete-

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