
Le gouvernement est en train de préparer les Français à de
douloureux changement de pied. Depuis le début de la crise économique, depuis
donc le début du confinement, il a fait face à la situation en mettant en œuvre
une série de mesures :
- d’abord la prise en charge par l’Etat de la mise en
chômage partiel, ça concerne aujourd’hui entre 8 et 10 millions de personne.
Cette prise en charge permet à la fois aux salariés de continuer à percevoir un
revenu, sans plomber un peu plus les entreprises qui sont par la force des
choses en difficulté ;
- ensuite avec les facilités de crédit et de report des
échéances pour ces mêmes entreprises pour éviter els faillites de celles qui se
trouvent à court de trésorerie.
Tout cela coûte très cher et on prévoit que la dette
publique en France comme ailleurs va exploser. Pour la France on parle d’une
dette publique qui serait autour de 150% du PIB. Un chiffre qu’on n’a plus vu
depuis la Libération. On nous a prévenu : cette dette, il faudra la
rembourser, donc, avec le MEDEF Le Maire nous dit qu’il va falloir travailler
plus pour rembourser. Mais il vient d’avancer qu’il fallait s’attendre à des
faillites massives et donc à une explosion du chômage. Arguant qu’il n’est pas
normal que l’Etat paye, il annonce que d’ici à la fin du mois le chômage
partiel va être bien moins indemnisé.
Mais il semble que Bruno Le Maire qui est né à Neuilly et qui a fait l’ENA
n’ait absolument rien appris en économie, et notamment de la gestion des crises
du passé. Il est vrai que pour les libéraux une crise ne peut pas advenir
autrement que par accident. Mais si la pandémie est si meurtrière aussi sur le plan économique,
c’est parce que le système est très fragile.
Que l’origine de la crise économique dans laquelle nous
allons patauger dans les mois qui viennent, soit cette fois une crise sanitaire
ne change rien à l’affaire. Lorsqu’une économie s’effondre, elle ne repart
jamais du côté de l’offre, mais toujours du côté de la demande. La grande crise
des années trente a procuré deux leçons :
– quand le marché n’est plus capable de créer des emplois et
que la production recule fortement, seul l’Etat a la légitimité nécessaire pour
relancer la machine. En 1932 quand Roosevelt arrive au pouvoir, il commence
d’abord par nationaliser le crédit, affolant les économistes massivement
hostiles à ce type d’intervention ;
– ensuite cette crise a montré – mais Le Maire et Macron ne
le savent pas – que la notion de chômeur volontaire n’a pas de sens.
Aujourd’hui nous voyons Bruno Le Maire nous dire à mots
couverts qu’il faut diminuer les allocations chômage pour encourager les
chômeurs à retrouver de l’emploi. Mais l’imbécilité de ce propos saute aux yeux
puisqu’en même temps Bruno Le Maire, dont l’épouse se nomme Pauline Dousseau de
Bazignan ma chère, nous dit que de très nombreuses entreprises vont faire
faillite. Inciter les chômeurs – ces fainéants – à retrouver de l’emploi quand
les entreprises ferment, ça s’appelle de l’imbécilité. Avant la crise du
coronavirus, il y avait 6 millions de chômeurs pour environ 250 000 offres
d’emplois émanant des entreprises. Après la crise il va y avoir au moins 10
millions de chômeurs pour un nombre d’offres d’emploi qu’on doit revoir à la
baisse. Les charrettes sont prêtes : le secteur bancaire nous dit qu’ils
vont mettra à la porte des milliers d’emplois, ils annoncent un objectif d’une
baisse globale des coûts d’un milliard d’euros par an. Renault veut fermer
Renault à Flins. Les compagnies d’aviation vont puissamment dégraisser, malgré
les aides de l’Etat.
Tenter de faire croire qu’en réduisant les allocations
chômage on poussera les gens à retrouver un emploi est une erreur élémentaire
de raisonnement puisqu’en effet la crise entretient la crise. Si le pouvoir
d’achat des ménages se contracte, alors de nouvelles entreprises ferment, ou
alors elles dégraissent encore. C’est ce qu’avait compris déjà Malthus en
1814 ! Et c’est ce qu’avait formalisé Keynes à travers cette notion de
chômage involontaire.
Une des raisons de la fragilité des économies dites
modernes, c’est qu’elles sont toutes dans une relation d’indépendance. Certains
ont commencé à la comprendre et ils parlent de sanctuariser un certain nombre
de secteurs de façon à se tenir à l’abri. La France est engluée dans la monnaie
unique depuis 2002. Cette situation a engendré un chômage structurel qui est
d’abord le résultat d’un déficit commercial récurrent. Officiellement le
déficit commercial est de 73 milliards, évidemment ce déficit correspond à une
exportation de travail chez nos voisins, notamment vers l’Allemagne. Si on
considère qu’un emploi représente un coût 45 000 € en moyenne, toutes
charges comprises, alors notre déficit commercial en 2019 correspond à environ
1,6 millions de personnes : chaque exercice annuel de déficit commercial
équivaut à une perte d’emplois. Cette situation devient difficile à maitriser
dès lors qu’une crise monétaire ou sanitaire commence à rompre les continuités
territoriales entre les différentes économies du monde. Par la force des choses
dès qu’une économie ralentit en un point du monde, les autres vont souffrir
parce qu’elles sont dépendantes. C’est le cas des pays producteurs de pétrole
qui vivent presqu’exclusivement sur la vente à l’étranger de leur matière
première. On a vu il y a quelques semaines le prix du pétrole devenir négatif.
Dans ce cas-là les économies qui vivent de cette rente de situation sont
ruinées. La baisse du cours du pétrole est par exemple à l’origine de la crise
du pouvoir au Venezuela. A l’évidence qui veut conserver sa souveraineté
économique doit absolument équilibrer son commerce international. Ce qui
signifie deux choses : d’abord qu’on ne doit pas importer ce qu’on est
capable de produire nous-mêmes, mais en outre utiliser les moyens des taxes et
des quotas pour limiter les importations.
Les économies émergentes ont été particulièrement touchées
par la baisse du prix des matières premières, le Brésil, mais aussi la Russie,
c’est la conséquence de la division internationale du travail. Quand le prix du
baril du pétrole grimpe, le Venezuela a trouvé des moyens pour améliorer le
sort des plus pauvres en investissant dans l’éducation et la santé par exemple.
Mais dès que le prix du baril a chuté, le chômage s’est répandu et les
difficultés se sont accumulées, laissant le Venezuela à la merci d’un coup
d’Etat fomenté par les Etats-Unis, toujours prompts à vouloir intervenir dans
ce qu’ils considèrent comme leur arrière-cour. Les pays émergent se sont
laissés aller à ne pas utiliser la manne de la hausse des prix des matières
premières pour transformer leurs économies, pour les rendre moins dépendantes
du reste du monde : c’est ce qu’on appelle le syndrome hollandais. Les
pays qui ont réussi leur émancipation, ce sont les pays asiatiques qui ont
construit leur économie en partant du faible coût de la main d’œuvre, pour
ensuite investir leurs excédents commerciaux dans la restructuration de leur
système productif, je pense au Japon, à la Corée du Sud, à Taïwan. La Chine est
restée pour l’instant à mi-chemin de ce processus.
Vous me direz que tout cela n’a rien à voir avec la crise du
COVID-19. Rien n’est plus faux. Nous voyons que les pays qui s’en sont le mieux
sorti sur le plan sanitaire sont soit les pays qui ont le tissu industriel le
plus diversifié, donc ceux qui ont le plus d’autonomie, soit les pays qui
possèdent des excédents importants grâce à leur commerce international. Le très
bon score de l’Allemagne dans la gestion du COVD-19 vient d’abord du fait que
ses excédents commerciaux qu’elle a réalisés grâce à la mise en place de la
monnaie unique sur le compte de ses voisins, lui a permis d’échapper à
l’austérité de l’hôpital public, contrairement à l’Italie, pays sur lequel la
Commission européenne fait depuis des années peser ses oukases pour qu’elle
sabre dans les dépenses de services publics et donc celles de l’hôpital. En
Europe les pays les plus fragilisés sont ceux qui ont mis en œuvre des réformes
drastiques de l’hôpital, c’est le cas de la France, de l’Espagne, mais aussi de
la Suède qui s’est convertie brutalement au néo-libéralisme, détruisant
rapidement ce qui faisait de ce pays un Etat-social avancé, cité souvent en
exemple dans le monde mais qui aujourd’hui a obtenu un des pires résultats en
matière de gestion de la crise du COVID-19. Coup sur coup, le modèle suédois
qui s’est converti au pas de charge au libéralisme échevelé a subi des revers
terribles, que ce soit en matière d’immigration, ou que ce soit en matière de
lutte contre la pandémie. On ne détruit pas l’Etat national sans en payer le
prix.
Même cette bourrique de Macron a commencé à changer de
discours et à avancer que tout de même une partie de notre production – celle
qui est liée à la santé – devrait être préservée et relocalisée sur le sol
national. Même s’il est probable que cela ne sera pas suivi d’effets, c’est
l’aveu les lois du marché sont bien incapable d’assurer la pérennité de la
nation. On a vu avec la comédie des masques des nations soi-disant riches
pleurer pour avoir des masques, parfois allant même jusqu’à les détourner !
Le virage souverainiste de Macron devrait faire sourire tout commentateur
séruex, il inscrit une nouvelle forme de protectionnisme seulement dans le
cadre européen, c’est-à-dire dans le cadre d’une zone de libre-échange.
Ça n’a pas de sens pour au moins deux raisons, parce qu’une partie des pays de
l’Union européenne ne veulent pas d’un destin commun, on l’a vu avec les
crispations engendrées par les propositions du plan de relance Merkel-Macron,
mais aussi parce que l’Union européenne ne représente pas un peuple ! « Notre
priorité, a dit Macron, est de produire davantage en France ». Mais
cela ne se décrète pas, ça se construit en sortant des règles du libre-échange,
donc en sortant des règles de l’OMC comme des traités européens. Favoriser les
entreprises françaises contreviendrait en effet aux règles de « la
concurrence libre et non faussée », règles écrites par les multinationales
et mises en musique par la bureaucratie corrompue de Bruxelles. Nous sommes
dans une situation schizophrène : d’un côté on interdit les
nationalisations au nom de l’efficacité du marché et des vertus de la
concurrence, mais de l’autre on autorise les Etats à donner de l’argent pour
sauver des entreprises en faillite selon ces mêmes lois du marché. C’est ce
qu’on avait fait avec les banques en 2008, c’est ce qu’on fait aujourd’hui avec
les secteurs de l’automobile et de l’aviation.
Le discours sur la souveraineté a été repris par Manuel
Valls dimanche 24 mai 2020 dans un entretien sur BFMTV, ce dernier cherche
manifestement un travail et il est prêt à tout pour l’obtenir. « Il faut
soutenir les entreprises, avoir plus de souveraineté dans les domaines de
l’alimentaire et des médicaments, sauver les industries [...], reconstruire une
partie de notre administration, réfléchir au domaine de la santé, avec toujours
une priorité à l'écologie et à la transition énergétique » ajoutant
« Ce qui me paraît essentiel c’est de renverser la table et qu’on
redéfinisse le cadre pas seulement pour la majorité actuelle mais pour le pays.
Si on ne le fait pas, c’est qu’on n’a pas compris ce qu’il vient de se passer
et la tempête qui peut tout emporter ». On se demande bien pourquoi ce
grand défenseur du libre-échange et de l’Europe n’y avait pas pensé avant, du
temps qu’il était premier ministre. De son temps il y avait bien déjà des
discours souverainistes qui dénonçaient la dépendance dans laquelle s’enfonçait
la France du point de vue industriel. Contrairement à une idée mercantiliste en
cours outre-Rhin, la dépendance n’est pas que le seul fait des pays qui ont un
fort déficit commercial. Par exemple l’Allemagne qui a construit grâce à la
monnaie unique un excédent commercial colossal, est dépendante pour la survie
de son économie des marchés extérieurs, notamment celui de l’automobile qui est
par la force des choses en fort déclin.
Dès que l’économie mondiale ralentit les pays à forts excédents commerciaux
comme la Chine ou l’Allemagne se trouvent en grande difficulté. Mais les
désagréments de la dépendance des économies nationales dus aux soubresauts de
la conjoncture sont la conséquence « naturelle » d’un modèle
économique fondé sur la croissance et le profit. Dans sa volonté de conquête
des marchés extérieurs, l’Allemagne a sabordé au moins partiellement ses
services publics, sauf le système hospitalier.
Si on voit assez bien la nécessité d’une plus large
autonomie des économies nationales, on ne sait pas trop comment faire. On peut
suivre plusieurs règles simples en la matière. L’Etat va mettre beaucoup
d’argent pour sauver des entreprises françaises. En échange il peut exiger
de prendre des participations, ce qui lui donnerait le loisir de réorienter
le système productif dans les intérêts de la nation et non plus dans le seul
intérêt des actionnaires. C’est exactement l’inverse de ce que fait depuis 2014
Macron qui rêve au contraire de désengager l’Etat de l’économie. Mais cette
idée néolibérale vient de faire la preuve qu’elle est totalement erronée
puisque sans le soutien de l’Etat, Renault pour 5 milliards,
Air France pour 7 milliards €
et des boutiques de moindre importance disparaîtraient purement et simplement.
Si on accepte les règles de l’économie de marché, alors il faut accepter ses
conséquences et laisser couler les entreprises en faillite, faisant confiance
au marché pour régénérer le tissu productif selon les principes de
destruction-créatrice. Si on demande l’aide de l’Etat celui-ci doit exiger au
nom des Français des contreparties. Bruno Le Maire a précisé que non, il ne
demanderait pas à Renault de renoncer à fermer des sites sur notre territoire.
Renault a annoncé ensuite que malgré les aides de l’Etat l’entreprise allait
licencier 4600 personnes, confirmant nos prévisions sur la déferlante du
chômage qui va arriver.
On comprend que l’idée de souveraineté chez les macroniens n’est qu’un mot très
vague, rien de sérieux. C’est à peine un peu de communication parce que l’idée
est à la mode et populaire. Autrement dit pour Renault, mais on suppose que
pour les autres grosses entreprises ce sera la même chose, il n’est pas
question que l’Etat ait des exigences, c’est juste une vache à lait pour
éponger les pertes, les profits, ce sera pour les actionnaires, comme
d’habitude. Cette chanson est le traditionnel « socialisation des pertes
et privatisation des profits » comme fondement du capitalisme et prouve
une fois de plus que l’économie de marché contrairement à ce que font semblant
de croire quelques économistes à moitié idiots n’a jamais pu exister sans
l’Etat. Quand les libéraux avancent que l’Etat freinent le marché et en entrave
les bienfaits, ils ne savent pas ce qu’ils disent. Non seulement l’Etat assure
la production des biens collectifs nécessaires au fonctionnement du marché,
mais en outre il est là lorsque le marché défaille périodiquement. L’enjeu est
en fait de savoir qui détient le pouvoir étatique. Généralement c’est le
capital, sauf quand celui-ci s’effondre comme cela a été le cas en 1930, à ce
moment là le travail a pu faire valoir ses droits. C’est ce qui a donné après
la guerre les Trente Glorieuses.
On note que lors de chaque crise grave depuis au moins la
fin des guerres napoléoniennes, aucun Etat national ne s’est risqué à une
stratégie qui consisterait à abandonner l’économie aux lois du marché, non pas
par doctrine, mais surtout pour les conséquences sociales et politiques que
cela entrainerait. Il va de soi que si les entreprises demandent des aides,
l’Etat doit se poser des questions, au nom de quel intérêt les
aiderait-il ? Par exemple l’Union des Aéroport, organisme qui soutient la
pollution des avions et donc par suite qui facilite la pollution par le
tourisme réclame également des aides.
Refuser de les aider, c’est participer à la réorientation nécessaire du système
économique dans son ensemble. L’aide doit être conditionnée à l’effort que
l’entreprise fera pour améliorer son bilan carbone par exemple : mais
pour l’aviation, on sait que c’est une impossibilité. Même chose pour
l’agriculture, si au nom de l’indépendance économique il est bon de soutenir
l’agriculture nationale, il faut conditionner ces aides à au moins deux
critères :
- un critère de qualité, donc il n’est pas choquant
de soutenir la reconversion des terres agricoles en bio, une agriculture qui
crée aussi des emplois contrairement à l’agriculture industrielle qui en
détruit ;
- un critère de prix, empêcher que les prix des
produits de qualité dérapent pour éviter que les inégalités se creusent
toujours plus entre ceux qui ont les moyens et ceux qui ne les ont pas.
Dans une interview à Reporterre,
Nicolas Girod avance qu’il faudrait doubler le nombre de paysans pour
obtenir une alimentation saine, de qualité, pour tous. C’est un avis que je ne
peux que partager. Cette proposition signifie beaucoup de choses : d’abord
que nous nous sommes égarés et donc que nous devons revenir en arrière
en refusant la division internationale du travail, ensuite qu’en accroissant le
nombre de paysans – je ne parle pas des entrepreneurs qui traficotent dans
l’agriculture – cela modifiera forcément la culture au sens le plus large,
puisque la culture se pense depuis des décennies à partir de la ville et non de
la campagne. Également, cette proposition redonnerait une valeur au
travail puisqu’un « vrai » paysan retire des satisfactions
personnelles de son activité, bien au-delà de la rémunération monétaire.
Evidemment on retombe sur un sérieux problème, c’est que les
aides de l’Etat vont tomber rapidement sur les traités européens, car
l’intervention de la puissance publique va à l’encontre de la
sacro-sainte « concurrence libre et non faussée » qui est la
seule et unique règle de l’Union européenne. On va certainement voir des grands
groupes mener la guerre à un Etat qui serait trop contraignant vie des
procédures auprès des tribunaux arbitraux. Une véritable politique économique
souveraine demande qu’au préalable on s’affranchisse de l’OMC et des traités
européens. Beaucoup commencent à y penser. Il va de soi qu’il faut abandonner
l’euro, idée qui commence à être populaire aux Pays Bas.
Nation qui a pourtant profité de la monnaie unique, mais également qui avait
massivement voté non au référendum sur le TCE en 2005.