lundi 7 septembre 2020

Histoire de statues, Charles Fourier

 

 

Statue de Charles Fourier, avant l’occupation 

Pour des tas de raisons que j’ai évoquées plusieurs fois, je trouve que l’attaque qui se fait sur les statues ou sur les noms de rues aujourd’hui est proprement déplacée, aux Etats-Unis, et donc encore plus en France. En premier lieu il s’agit d’une perte de temps qui contribue à fragmenter les luttes sociales et à les rendre incompréhensibles. Elle met en avant les revendications d’une population revancharde, racialisée, contre le reste du corps social. Ensuite, elle s’attaque directement à la mémoire, que celle-ci soit bonne ou mauvaise, ces statues font partie de l’histoire d’une nation. Et donc cela revient bêtement à juger du passé à l’aune des temps présents. Rien ne nous empêche, statue ou pas de critiquer ces représentations et de peindre les personnages sous un jour moins favorable qu’il ne l’était, à condition bien entendu de connaître l’histoire. Enfin on peut ajouter qu’en s‘attaquant aux statues qui ornent nos rues, on fait l’impasse sur le temps présent. Pour moi il est plus judicieux et important de lutter contre l’esclavage aujourd’hui que contre l’esclavage du passé. Mais les gauchistes ordinaires ne veulent pas le faire, parce que cela les obligerait à s’attaquer à l’Islam et qu’il s’agit là d’un tabou. Et puis, s’attaquer aux statues du temps passé est une relecture contestable de ce passé. Dans le mouvement récent contre les statues, on n’en vient à n’interroger l’esclavagisme par exemple que du point de vue de l’homme blanc, alors que les noirs eux-mêmes ont été esclavagistes et les musulmans également. Il vient que si on combat fort justement l’esclavagisme, il faut le combattre d’où qu’il vienne, mais aussi où qu’il existe encore aujourd’hui. 

Des situationnistes et des anarchistes remettent en place la statue de Charles Fourier le 10 mars 1969 

Ce mouvement d’éradication des statues qui ne plaisent pas à une frange minoritaire de la population, rappelle en réalité l’Occupation et la pratique des nazis. Ceux-ci en effet visaient à reformater la mémoire pour l’arranger à leur convenance et apparaître comme des rénovateurs qui vont vers le progrès. Ils brulaient les livres et leurs auteurs, mais ils s’attaquaient aussi aux statues. Ne croyez pas que le temps des autodafés soit derrière nous. Nous y sommes en plein dedans. Aux Etats-Unis on en est à expurger les bibliothèques, les éditeurs ont maintenant peur de publier tel ou tel. Cette chasse aux sorcières d’un nouveau genre s’en va jusqu’à lancer des oukases contre la malheureuse J.K. Rowling[1]. Certes on peut penser du mal de cette femme et souligner le caractère imbécile de la saga Harry Potter. Mais comme on est incapable de la critiquer sérieusement faute de savoir lire, on prétend l’interdire. Mais la liberté c’est quelque chose qui ne se divise pas, on doit pouvoir conserver la liberté de critiquer en même temps que celle de s’exprimer. Ce n’est pas la première fois qu’on se livre à une chasse aux sorcières. Ce furent les nazis d’abord, mais ce furent aussi ensuite l’extrême-droite américaine qui chassait le rouge qu’elle faisait mine de voir partout. Ces deux mouvements ont échoué, comme échouera aussi le mouvement racialiste qui veut que nous voyions la réalité à travers ses propres lunettes. 

 

Les nazis lorsqu’ils sont venus piller la France, ont volé de grandes quantités d’œuvres d’art dont un grand nombre n’ont jamais été restituées[2]. Cette volonté de s’attaquer aux œuvres d’art signifiait plusieurs choses. D’abord que si les nazis volaient ses œuvres, c’est qu’ils ne croyaient pas à leur combat culturel, ils songeaient à revendre après la guerre et donc à devenir riches. Ensuite, ils voulaient que plus personne ne puisse les voir. Faire comme si officiellement elles n’avaient jamais existé. Quant aux statues, on les déboulonnait pour récupérer le bronze dans lequel elles avaient été coulées. C’est ce qui s’est passé pour la statue de Charles Fourier. Charles Fourier était un auteur subversif, salué par Marx et Engels comme un précurseur du socialisme. Il était du reste un des premiers à critiquer le capitalisme industriel pour sa laideur et pour les pollutions environnementales qu’il engendrait[3]. Il prônait un collectivisme fondé sur le plaisir et de petites concentrations de population dans des phalanstères de la taille d’un gros village. Il mettait en avant la sexualité et la fraternité. Et donc en 1899 une souscription populaire permit de produire une statue de bronze et de l’installer sur le boulevard de Clichy à Paris. Les nazis la déboulonnèrent en 1942 pour récupérer le bronze, et aussi pour cacher l’existence passée de Fourier aux yeux de populations. Pour le punir à retardement en quelque sorte. C’était une double attaque, contre le socialisme et contre la mémoire du peuple français qui fut l’un des plus combatif pour inventer une alternative au capitalisme pourri. Certes Fourier avait aussi bien des défauts, il était colérique, mangeait et buvait à l’excès et il était aussi un peu antisémite. Le plus étrange pourtant c’est qu’à la Libération de Paris personne n’eut l’idée de remettre cette statue du grand penseur à sa place. Et le socle de celle-ci resta vide désespérément. On peut supposer que les communistes du parti ne voyaient pas d’un bon œil le retour d’un socialiste utopique, mais plus vraisemblablement les nazis avaient atteint leur but : Fourier avait été oublié. C’est seulement après Mai 68 qu’une initiative bienvenue des situationnistes et de quelques anarchistes rétabli sa mémoire. En effet, le 10 mars, ils installaient une réplique en plâtre de cette statue sur son socle. La réplique était due à Pierre Lepetit, un ancien du CMDO[4]. Mais les choses n’en restèrent pas là. Histoire de se ranger du côté des nazis, les autorités de la capitale firent rapidement enlever cette statue pour la remplacer par rien ! Ce non remplacement signifiait beaucoup. On ne voulait pas voir Fourier, symbole du socialisme utopique dans la capitale en très de se moderniser sous les coups de boutoir de cette canaille de Pompidou qui travaillait pour l’affairisme immobilier. On ne dira jamais assez de mal de Pompidou pour ce qu’il a fait comme offenses à Paris pour le défigurer, que ce soit le déménagement des Halles et son remplacement par un immonde supermarché ou cette horreur terrible qu’on appelle le Centre Beaubourg ou Centre Georges Pompidou qui sert de promotion à une conception moderne et mercantile des arts. Personnellement je serais plutôt pour l’éradication du Centre Pompidou que pour le déboulonnage de la statue de Colbert, ce con.

Mais les choses étant ce qu’elles sont, et le mouvement social ayant finalement assez peu de suite dans les idées, personne n’eut l’idée de se battre pour la restauration de cette statue sur son socle. L’internationale situationniste dans son dernier numéro rendait hommage au retour de Charles Fourier. En 2007, soit près de 50 ans après la remise en place de la statue, un collectif installe une cabine de verre sur le socle vide de la statue de Fourier, intitulant celle-ci Embrèvement numéro 3, Installation illicite d'œuvre en milieu urbain. Faire ressortir l’absence était le but, mais même si manifestement ce groupement d’architectes s’inspirait des situationnistes il n’y avait plus d’hommage à Charles Fourier. 

A gauche l’installation d’une vitrine pour souligner l’absence de la statue de Fourier, à droite l’immondice moderniste de Frank Scurti 

La mairie de Paris était entre temps devenu « socialiste », mais socialiste avec des guillemets. Et donc en 2007, consécutivement semble-t-il à la mise en place de cette cabine de verre non autorisée, la mairie lança un appel d’offre pour rendre un hommage à Charles Fourier. Bertrand Delanoë n’avait pas fait assez de dégâts modernistes en décidant de la construction de la Canopée du Forum des Halles qui était aussi laide que coûteuse[5] – comme quoi dans l’immonde et dans la laideur moderniste, on peut toujours faire mieux ! Le concours pour l’hommage à Charles Fourier fut remporté par le médiocre et stupide Frank Scruti qui baptisé son hommage à Charles Fourier du nm de La quatrième pomme. En vérité plutôt qu’à un hommage à Charles Fourier, on pouvait y voir un hommage à la firme Apple. Le but de ce Frank Scruti. En vérité le but de ce médiocre était d’abord de faire disparaitre Charles Fourier du paysage parisien et de le remplacer par une sorte de publicité pour le monde moderne. En même temps que Scruti s’attaquait comme les nazis à la mémoire de Fourier pour la faire disparaître, il défigurait un peu plus le paysage urbain parisien à accolant au milieu du boulevard de Clichy une immondice de verre et de fer qui a certainement dû coûter aussi cher qu’elle est laide, car l’art moderne a d’abord pour objectif de coûter cher surtout s’il s’agit d’une commande publique et ensuite d’enlaidir le paysage.

Cet exemple montre que de s’attaquer aux statues n’a rien d’anodin, on vise à modifier le paysage mental en éradiquant l’histoire que tous les histrions qui déboulonnent à tour de bras ne connaissent évidemment pas. Dans l’alignement du boulevard Clichy, la pomme de Scruti apparaît comme le dernier clou sur le cercueil de la mémoire de Charles Fourier. Il faut que Paris ait été une ville importante, phare, dans les luttes sociales, pour que la canaille bourgeoise s’y attaque avec autant de hargne et de constance depuis au moins la Libération, pour en faire une ville sans âme, un réceptacle à touristes où les Parisiens n’existent tout simplement plus. Il s’agit ici aussi de grand remplacement.

On retiendra qu’il y a une différence qualitative entre ceux qui enlèvent les statues et ceux qui les remettent à leur place. 



[2] Hector Feliciano, Le musée disparu : Enquête sur le pillage d'œuvres d'art en France par les nazis, Gallimard, 2009

[3] Charles Fourier, La fausse industrie morcelée, répugnante, mensongère, et l'antidote, l'industrie naturelle, combinée, attrayante, véridique, donnant quadruple produit, Bossange père, 2 tomes 1835-1836. Voir aussi Serge AUDIER, La Société écologique et ses ennemis. Pour une histoire alternative de l’émancipation, 2017

[4] Voir L’encyclopédie des nuisances, fascicule 14, également Christian de Beaulieu dans Archives situationnistes, numéro 3, automne 2003, et encore http://julesbonnotdelabande.blogspot.com/2011/02/le-retour-de-charles-fourier.html

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