La nouvelle est tombée samedi après-midi, Joe Biden a été élu 46ème président des Etats-Unis. La plupart des commentateurs de cette élection arrivent
difficilement à s’abstraire de leurs propres préférences pour traiter des
résultats des élections du 3 novembre. Ils ont ainsi des biais dans leurs
approches qui faussent le jugement. Comme Trump a incontestablement bien
résisté, ils en déduisent que le trumpisme est installé pour la nuit des
temps aux Etats-Unis. C’est une grossière erreur. Ils sont déçus que la poussée
démocrate n’ait pas été plus importante. Mais comme disait Joe Biden, il est le
candidat à une élection présidentielle qui a rassemblé sur son nom le plus de
suffrages de toute l’histoire des Etats-Unis, on terminera le décompte sans
doute avec plus de 75 millions de voix pour Biden, et 5 millions de voix de
plus que Trump. Biden n’est pas un candidat charismatique, il est vieux, il
fait partie de l’establishment politique, et pourtant il l’emportera très
probablement maintenant. Parmi les raisons qui ont freiné l’irrésistible
poussée démocrate, il y en a deux, le profil de Biden que je viens d’évoquer,
mais une autre peut-être plus importante, le Black Lives Matter et les émeutes
très récentes qui ont ravagé Philadelphie, et quelques autres villes depuis le
meurtre de George Floyd et jusqu’à quelques jours des élections. C’est cet état
de semi-guerre civile qui a certainement fait peur à une partie des électeurs
qui voyaient dans Trump une sorte d’homme d’ordre. En vérité le succès de Trump
en 2016 était d’abord dû à une bizarrerie du système politique américain, il a
été en effet élu avec 3 millions de voix de moins que sa concurrente. Hillary
Clinton n’était pas aimée, mais au fond, Trump l’était encore moins ! Il a
fait tout son mandat à la remorque de sondages très médiocres, suscitant la
défiance d’une large majorité de ses concitoyens outrés de voir une sorte de
pitre grossier et incapable de se contrôler, donner une pantomime déplorable de
la fonction présidentielle.
Contrairement aux avis du journal Le monde, je pense effectivement que Trump est un accident, un accident qui a mis en évidence le caractère peu démocratique de la vie politique étatsunienne. La raison principale est que Trump est un milliardaire, un héritier, un fils à papa, qui joue à l’homme du peuple et qui pour cela fait preuve d’une vulgarité jamais vue auparavant. Et qu’en cela il représente d’abord les riches, les très riches. La réforme de l’impôt proposée par Trump a renforcé encore plus les inégalités sociales, et donc les inégalités raciales. Cette réforme de l’impôt a creusé un déficit énorme qui a permis de donner une apparence de dynamisme à l’économie américaine et de créer des emplois. Ce pseudo-dynamisme a permis de masquer provisoirement la montée d’une critique du capitalisme aux Etats-Unis. Si je regarde sur le temps long, ce qui est le plus remarquable dans la vie politique américaine c’est la percée de Bernie Sanders. Voilà un candidat aux élections présidentielles qui recueillent beaucoup de suffrages dans la jeunesse et qui finance ses campagnes sans s’appuyer sur des donateurs riches. Mais plus important encore, il parle ouvertement de socialisme. On trouve des commentateurs pour dénigrer ce qu’il dit du socialisme, mais peu importe le contenu qu’il donne à ce terme, il ose parler de socialisme dans un pays où le mot est quasiment tabou depuis la chasse aux sorcières organisée à la fin des années quarante. Cette percée a obligé Biden de faire un programme de gauche[1] dont on peut discuter les insuffisances, mais incontestablement c’est un programme de gauche. Parmi les propositions avancées, il y a une hausse des impôts pour les plus riches, une hausse du salaire minimum, des exemptions de frais d’inscription à l’université pour les plus pauvres et pour une partie de la classe moyenne, et puis encore des mesures pour améliorer l’accès des plus pauvres au système de santé. Le programme de Biden est sans doute même plus à gauche que ne l’était celui d’Hollande chez nous en 2012. Et donc il vient que le parti démocrate poussé sans doute par les plus jeunes qui souvent appartiennent à des minorités ethniques, est obligé d’avancer vers la gauche. Et c’est ce qu’il a fait. Bernie Sanders a d’ailleurs fortement appuyé Biden, jugeant très certainement qu’il fallait en finir d’abord avec Trump pour avancer un peu. Depuis au moins l’élection d’Obama – qui a été très certainement un mauvais président et pour lequel je n’ai jamais eu de sympathie – il y a une poussée continue de la gauche aux Etats-Unis. Cette poussée est sans doute brouillonne, troublée par les imbécilités des minorités agissantes du type BLM, mais elle est tendancielle, et à contre-courant de ce qui se passe en Europe par exemple où la gauche est devenue la droite avec un faux-nez.
Meeting Bernie Sanders, Brooklyn, mars 2019
Face à cette poussée, Trump représente l’immobilisme absolu. Je ne parle pas de sa personnalité déplaisante et ubuesque, mais de son programme qui vise essentiellement à la restauration d’un capitalisme des années cinquante, avec un souverain mépris pour les problèmes environnementaux. Mais en dehors de la réforme des impôts qui a fait exploser la dette publique, Trump n’a rien obtenu en termes de relocalisations des industries, ni non plus en termes de baisse des déficits commerciaux avec la Chine. Je ne parle même pas de son incapacité à trouver une politique cohérente face à la crise du COVID-19. Aujourd’hui il est dans une situation très difficile pour lui, il continue à jouer les fanfarons, se plaignant qu’on lui vole la victoire. Certains pensent qu’il joue sa peau car selon certaines sources, une défaite le renverrait vers les tribunaux et vers la faillite de ses entreprises. Je ne sais pas si ces rumeurs sont fondées. Mais cette attitude jusqu’au-boutiste est en train de lasser et de fracture le Parti Républicain dont une partie veut se recentrer et oublier la parenthèse Trump, tandis qu’une autre partie des Républicains veut croire à l’héritage du trumpisme. Cette division des Républicains va surtout aider Biden si par exemple il n’a pas la majorité au Senat. Mais il y a un autre phénomène c’est que l’attitude de Trump est celle d’un loser, et les losers ne sont pas très estimés aux Etats-Unis. Déjà Fox news, chaine très conservatrice, commence à lui tourner le dos. Et beaucoup de Républicains trouvent que ce manque d’élégance dans la défaite est indigne d’un président. C’est du jamais vu.
Le résultat devrait être acquis maintenant dans les tous prochains jours, lundi ou mardi, avec de nouveaux gains pour Biden au Nevada et peut-être en Georgie. Trump a commencé à dire qu’il allait faire des procès à tout va, et que la justice rétablirait son droit. Mais cette ultime bouffonnerie ne devrait pas aller bien loin. Les preuves d’une fraude qui ne serait que du fait des démocrates ne tient pas debout, les assertions de Trump tombent les unes après les autres quand on les examine un peu de près[2]. Pour moi cette fanfaronnade n’ira pas jusqu’au bout, ça relève plus du caprice que d’autre chose. Les échos qui nous parviennent semblent montrer que la Cour Suprême, pourtant très conservatrice, est très réticente à suivre Trump dans ses élucubrations. Evidemment le pouvoir de Biden va être fragile, non pas par manque de légitimité, mais plutôt parce que la situation étatsunienne est délicate. Trump contrairement à ce qu’il a raconté de partout a affaibli son pays non seulement sur le plan intérieur et sur le plan économique, mais aussi sur le plan de la politique internationale. Il s’est coupé de ses alliés, a laissé le champ libre au Moyen Orient à la Russie et à Erdogan. Jamais les Etats-Unis ont été autant détestés que sous son mandat. Redresser la barre sera difficile pour Biden et ses équipes, mais je crois que l’Amérique va tourner la page Trump, celle de la division et va retrouver pour un temps un peu plus d’unité. Après tout, Biden ne sera pas si mal élu que cela. Mais il lui faudra des résultats rapides – dans les deux ans qui viennent – aussi bien en matière d’emplois qu’en ce qui concerne la santé.
[1]
https://www.marianne.net/monde/ameriques/etats-unis-mais-au-fait-quel-est-le-programme-de-joe-biden
[2] https://www.francetvinfo.fr/monde/usa/presidentielle/vrai-ou-fake-election-americaine-on-a-verifie-15-accusations-de-fraudes-faites-par-donald-trump_4170745.html?fbclid=IwAR0imPPQ9Uzue1KZYR1RQgwjJGJe5dVqHba4202W5mdJ7EcIPiQuMc94txE#xtor=CS2-765-[facebook]-
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