samedi 12 décembre 2020

La Cour suprême des Etats-Unis signe la fin de partie pour Trump

  

Après les multiples déboires de Trump et de ses équipes devant les tribunaux fédéraux, l’ultime espoir de celui-ci reposait sur la possibilité de la Cour suprême de faire un coup d’Etat en suivant la demande ubuesque du procureur général du Texas Ken Paxton, appuyé par quelques vieux débris du Parti Républicains, qui demandait à celle-ci d’invalider les bulletins de vote par correspondance dans les Etats comme la Pennsylvanie, le Michigan, la Géorgie et le Wisconsin. Au nom du Texas il demandait à la Cour suprême d’annuler les élections ou d’en renverser l’issue. Il réclamait également la possibilité pour les Etats de se passer des élections pour nommer les délégués qui le 14 décembre se réuniront pour officialiser l’élection de Joe Biden. Comme on s’y attendait, la Cour suprême a refusé de suivre au motif que ni le Texas, ni la Cour suprême ne pouvait se mêler de l’organisation des élections dans d’autres Etats[1]. Trump est furieux parce qu’il comptait sur les juges de la Cour suprême qu’il a nommés pour réaliser son hold-up. Pire encore la Cour suprême dans son avis a avancé que les arguments de Trump, Paxton et de ses avocats n’avaient strictement aucune consistance juridique, autrement dit que les accusations de tricherie massive avancées depuis le mois de mai 2020 – soit avant que les élections ne commencent – étaient sans preuve. Notez que si Paxton s'est autant avancé dans le soutien des démarches trumpistes, c'est parce que lui-même est sous le coup de plusieurs procès et qu'il souhaite que Trump le gracie avant de s'en aller. Mais c'est une illusion.

Cette affaire ubuesque va bien au-delà du fait qu’on approuve ou non la politique de Trump ou celle de Biden. Il faut la comprendre dans le sens de l’approfondissement de la post-démocratie. C’est l’idée qu’on peut finalement se passer des électeurs pour désigner un président. L’Union européenne a déjà pratiqué cette post-démocratie en déniant au peuple le droit de rejeter ses propositions par référendum. En 2005 la France et les Pays-Bas votent contre le TCE, mais on fait repasser ce texte par la bande. Aux Etats-Unis les Républicains sont minoritaires dans le vote populaire depuis 1988, mais ils ont eu malgré cela deux présidents Républicains. Cette année l’écart à combler pour Trump était cependant trop important en voix. Il y a plus de 7 millions de voix entre les deux candidats. C’est le résultat d’une évolution naturelle de la démographie américaine, et de la montée des inégalités de toute sorte dans ce pays. Trump représente la tentative désespérée d’une partie de l’Amérique de restaurer un ordre ancien brutal. On le voit très bien quand il s’appuie sur les religieux anti-avortement, ou quand comme ces derniers jours il accélère les exécutions capitales par décret, alors que le pays souffre toujours plus des effets de la pandémie, comme si d’exécuter quelques prisonniers soit de la première urgence[2]. Trump à qui on prête la volonté de se représenter en 2024 envoie ainsi des signes pour renforcer la cohésion réactionnaire de ses soutiens. Pour beaucoup le but de Trump en présentant ses requêtes ubuesques devant la Cour suprême n’était pas de gagner, mais de raffermir la confiance de ses troupes hystérisées. Il va tirer avantage auprès d’une minorité d’activistes de ce refus de la Cour suprême pour montrer combien le pays est corrompu puisque cette corruption touche aussi les juges qu’il a lui-même nommés. Mais pour le reste il a cumulé tellement de défaites en deux mois, dans les urnes, devant les tribunaux et pire encore devant la Cour suprême qu’il ne peut apparaître que pour ce qu’il est : un perdant d’habitude !

 

Un peu avant toutes ces avanies, Trump avait gracié le général Michael Flynn qui avait ouvertement menti au FBI pour le couvrir. Et ce Flynn qui semble encore plus stupide que Trump – c’est dire – à sa sortie de prison avait suggéré que Trump suspende la Constitution et déclare la loi martiale pour rester encore 4 ans président. En vérité Trump n’a pas les moyens d’un coup d’Etat militaire, l’armée restant loyaliste. Mais que de telles initiatives puissent exister dans un pays qui prétend défendre la démocratie dans le monde entier est tout à fait confondant et montre que ce pays est dans un état de décomposition avancée[3]. Dans quatre ans Trump aura 78 ans, l’âge de Biden aujourd’hui. Mais il aura des handicaps énormes pour se représenter. D’abord l’image d’un fouteur de merde et d’un sore loser. Il est un des rares présidents à ne pas avoir été réélu. Incapable de gagner légalement une élection, il aura essayé de tricher par tous les moyens. Si une partie de son électorat approuvera sans doute la pugnacité trumpiste, une autre partie du Parti Républicain le rejettera pour cette raison, d’autant que certains caciques attendent de pied ferme ce règlement de compte pour se débarrasser d’un homme encombrant. Le second point et pas des moindres est qu’après janvier, quand il aura quitté son poste, il ne bénéficiera plus de l’immunité afférente à la fonction, et donc il devra faire face à une kyrielle de procès de tout ordre. Certes il a amassé des liquidités grâce à ses pleurnicheries éhontées, mais si c’est pour payer des avocats comme Powell ou Giuliani 12 000 $ la journée, on peut se demander si avoir de l’argent suffit à vous blanchir, même aux Etats-Unis. En 2024 il aura l’image d’un vieil aigri, d’un tricheur, d’un menteur et d’un voleur. Sa santé mentale déjà chancelante n’a guère de chance de s’améliorer. L’épisode de la contestation du résultat des élections aura laissé des traces douloureuses. Trump aggravera probablement son cas en n’assistant pas à l’intronisation de Biden comme nouveau président. Les sondages sont formels, très largement les électeurs pensent que les résultats sont justes et que la fraude généralisée n’existe pas dans une proportion 60-35%[4]. C’était avant la décision de la Cour suprême. Le fait que celle-ci envoie Trump et son gang au bain va sûrement renforcer cette tendance, y compris au sein de l’électorat républicain. Au fond d’eux-mêmes les Américains qu’ils soient pour ou contre Trump sont effondrés par cette longue pantomime dont pourtant on connaissait l’issue depuis le début. Tant que Trump se présentait comme se battant contre l’Etat profond, il avait une crédibilité auprès de ses partisans, mais maintenant qu’il est défait devant la Cour suprême il apparaît seulement pour ce qu’il est un clown capricieux et mauvais. 

Trump a donc raté son coup d’Etat, mais cela ne veut pas dire que l’évolution post-démocratique des Etats-Unis soit enrayée pour autant. Vu de loin, il nous semble difficile de voir une amélioration possible, une nouvelle harmonie dans ce pays en voie d’effondrement. Trump aura été la révélation d’une incapacité à enrayer le déclin. En évitant de suivre Trump dans ses élucubrations, la Cour suprême a gagné du temps et évité de plonger directement le pays dans la guerre civile. Mais comme le souligne The Chicago tribune, Trump a ouvert la boîte de Pandore en montrant qu’avec un peu de chance on pouvait réussir un coup d’Etat, en tous les cas en déniant à qui que ce soit de contrôler le pouvoir d’un homme politique[5]. De partout dans le monde, faute de trouver des solutions à l’instabilité politique, les dirigeants ont cette tendance à se comporter en dictateur, sans même savoir ce qu’ils peuvent faire de ces excès de pouvoir. Ce n’est donc pas seulement Trump qui a perdu la tête, mais c’est le système dans son entier. Que l’oligarchie américaine n’ait rien trouvé de mieux que Trump pour défendre ses intérêts en dit long sur sa décomposition.



[1] https://edition.cnn.com/2020/12/11/politics/supreme-court-texas-trump-biden/index.html

[2] https://www.lefigaro.fr/flash-actu/le-gouvernement-trump-a-procede-a-une-nouvelle-execution-malgre-la-pandemie-20201211

[3] https://www.independent.co.uk/news/world/americas/us-election-2020/michael-flynn-suspend-constitution-martial-law-trump-reelection-b1765467.html

[4] https://poll.qu.edu/national/release-detail?ReleaseID=3685

[5] https://www.chicagotribune.com/columns/steve-chapman/ct-column-trump-election-supreme-court-chapman-20201211-orywggkm3verdai2kfjnmwxxia-story.html

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